Si tu t'en sors...
Auschwitz 1944-1945
Nadine Heftler
Editions La Découverte
« Tu sais, si tu t'en sors, c'est une bien belle
école... »
Ces mots qui ont fourni son titre au livre de Nadine Heftler furent les
derniers qu'elle entendit de son père, Gaston Heftler, sur la rampe
de Birkenau, le 2 juin 1944. Je pense qu'il était nécessaire,
qu'il était indispensable de publier ce livre, et je voudrais dire
pourquoi. C'est le récit des onze mois passés par cette
jeune fille dans les camps nazis et publié tel qu'elle l'a écrit
en 1946, peu après son retour en France. Elle l'a écrit
en quelque sorte en dialogue avec ses parents, avec son père dont
elle fut séparée immédiatement, avec sa mère
qui, épuisée, fut selon ce qui a été dit,
sur place, à Nadine, gazée le 14 octobre 1944. Elle l'a
écrit comme on rédige, pour ceux que l'on aime, le texte
d'une stèle funéraire, un écrit, pour ceux qui n'ont
pas de tombe. Ce texte, il fallait le publier tel quel, avec simplement
quelques minuscules corrections relevant de l'orthographe ou de la syntaxe.
Car il faut considérer ce livre d'abord comme un document, comme
un fossile qui réapparaît après un enfouissement de
plusieurs décennies. c'est d'abord à ce titre qu'il peut
et doit intéresser, voire passionner, le lecteur d'aujourd'hui.
Nadine Heftler n'est ni David Rousset, ni Primo Levi. Et pourtant, par
delà le divers historique, elle nous apporte quelque chose d'essentiel
et de nouveau : quoi ? Elle même. Qui est-elle ? Une enfant, une
bourgeoise française de quinze ans. Qu'il y ait eu chez elle «
initiation » au sens que les anthropologues donnent à ce
mot, initiation à un monde dans lequel elle a voulu, avec acharnement,
survivre, ne fait absolument aucun doute. Initiation au double sens de
ce mot : adaptation à un univers nouveau, et changement de classe
d'âge, entrée dans l'âge adulte. L'épisode central,
celui qui donne la clef et le sens de tout le livre est évidemment
la séparation d'avec la mère, suivie de la mort de celle-ci.
« Jusque-là, en réalité, je n'existais pas,
je n'avais aucune personnalité, aucune force en moi-même.
Maman partie, j'avais la sensation de naître subitement à
la vie. De zéro que j'étais, le mot n'est pas trop fort,
il fallait que je devienne en quelques minutes une unité. »
Extraits de la préface de Pierre Vidal-Naquet